Nous accordons une grande importance à cette interview qui n’est pas celle du premier psychiatre venu, en effet le Docteur Gosselin est une sommité dans son domaine : docteur en médecine, psychiatre exerçant à titre libéral, il est diplômé d’un DEA (Master) en neurophysiologie et biologie des comportements, ancien maître de conférence associé de neuropsychologie à l’Université Louis Pasteur de Strasbourg.
Il a publié dans de nombreuses revues internationales à comité de lecture telles que Brain Research, Behavioral Pharmacology, Neurobiology of Learning and Memory, Psychopharmacology, Encéphale, participé à de nombreux colloques internationaux de psychiatrie.
À notre demande, le Docteur Gosselin nous évoque son expérience de professionnel de la santé mentale saisi notamment par des familles en proie à la maltraitance institutionnelle de l’ASE.
CEDIF : En tant que psychiatre avez-vous vu passer beaucoup de familles victimes d’ un enlèvement injustifié de leurs enfants ?
Docteur OG : J’en ai vu pas mal oui, et j’en vois encore pas mal puisque je travaille aussi avec des associations. Nous répertorions actuellement plein de cas et j’essaie de retravailler dessus pour effectuer des attestations correctes. On voit donc un nombre excessif de placements abusifs.
CEDIF : Beaucoup de familles se retrouvent dans le collimateur de l’ASE pour des questions qui ne relèvent pas de maltraitance mais de conflits familiaux ou parce qu’ils ont commis l’erreur de réclamer de l’aide. Vous avez certainement eu ce genre de cas, ou d’autres dans lesquels l’intervention de l’ASE créé le conflit parental ?
Docteur OG : Oui, j’ai un cas de cet ordre là, je vous le résume brièvement : il s’agit d’une enfant de 15 ans atteinte de phobie scolaire non reconnue par l’éducation nationale. Il a fallu que les parents fassent réaliser plusieurs expertises psychologiques. Peu satisfaite des premières expertises, l’éducation nationale en a demandé d’autres. Le psychiatre mandaté par l’ASE a inscrit dans son rapport que l’enfant n’avait pas de phobie scolaire mais était fainéant, il a dit que la maman entretenait une relation ambivalente avec sa fille, ce qui est faux, et que le beau-père était un paranoïaque, ce qui est faux aussi. Les parents se sont comportés intelligemment, ils ont fait mine de collaborer et de se séparer le temps que les choses reprennent leur place. Maintenant ils vont se remettre ensemble.
CEDIF : Il arrive effectivement souvent que les services de l’État pratiquent l’ingérence familiale. Des magistrats n’hésitent pas commettre de tels abus de pouvoir, nous avons par exemple le cas d’un juge des enfants qui écrit la chose suivante à propos d’une maman dont l’enfant a été placé : " cette attitude interroge sur son état psychologique et sa capacité à se démarquer de son époux ". Certains n’ont visiblement pas besoin d’attendre une expertise pour tirer des conclusions, qu’est ce que vous en pensez ?
Docteur OG : Tout à fait, dire cela de l’épouse est non seulement scandaleux mais encore faudrait-il qu’un thérapeute se soit prononcé. Poser un tel diagnostic n’est pas de son ressort. Nous (psychiatres et psychologues) sommes là pour ça. Dans ce que vous me dîtes il y a un diagnostic psychiatrique commis par le juge, ce qui est absolument scandaleux, c’est comme si moi je décrétais subitement que tous les enfants de l’ASE doivent sortir immédiatement, cela poserait un problème, le dire ce n’est pas mon boulot.
CEDIF : Puisque l’on parle de diagnostic psychiatrique, ce juge indélicat a désigné ensuite un expert d’un CMP (centre médico-psychologique, anciennement dispensaire d'hygiène mentale) à se prononcer sur l’état de la maman et l’expert évoque une fragilité narcissique.
Docteur OG : Ce que j’en pense c’est que tous ces éléments sont des résidus de la psychanalyse, Freud et Lacan confondus. Nous n’entendons plus parler de la psychanalise qu’en France et en Angleterre (cf le Livre noir de la psychanalyse /5 auteurs/ et Michel Onfray Le crépuscule d’une idole). Le temps de la psychanalyse est terminé, il y a d’autres choses qui se mettent en place.
CEDIF : Le terme de fragilité narcissique a, cependant, été retenu et, à la fin de son rapport, le psychiatre concluait a l’utilité d’un éloignement mère-fille pendant un certain temps, tout en maintenant un droit de visite. Là par contre, puisque l’on parlait de diagnostic, ce n’est plus un diagnostic mais une préconisation juridique. Cette affaire est passée devant le conseil de l’ordre départemental et ce conseil a soutenu le psychiatre.
Docteur OG : Je préfère ne pas me prononcer là dessus…
CEDIF : Dans ce cas, comme dans d’autres, on peut remarquer que certains professionnels sont souvent sollicités par des juges des enfants aux fins d’expertises et leurs rapports se ressemblent étrangement et sont systématiquement à charge. Apparemment dans ces cas là un nombre d’experts limité font ces expertises. Est-ce que vous pensez que l’on pourrait dire que certains experts sont mobilisés par des juges des enfants pour permettre des placements ?
Docteur OG : À mon avis oui, car on connaît des situations dans lesquelles ce sont toujours les mêmes experts qui sont désignés et ils sont désignés sur des dossiers à charge, le patient est alors cassé et les expertises sont des expertises très dures. Dans ces cas il est juste prévisible, pour ne pas dire inévitable d’en arriver à de tels rapports. On trouve aussi le même problème avec les services sociaux ou les psychiatres qui ne parlent que de ce qu’ils ont envie d’évoquer. Dans le cas dont je vous parlais tout à l’heure, les premières expertises ont reconnu la phobie scolaire mais ils en sont revenus à l’ancien psychiatre qui avait fait un diagnostic de fainéantise. Donc cela ne m’étonne pas du tout que l’on retrouve toujours les mêmes noms d’experts qui reviennent en permanence. Des experts confirment des prédiagnostics psychiatriques émis par des juges puis émettent des préconisations juridiques sans être inquiétés : qui tire les ficelles de qui ?
CEDIF : Les psychiatres exerçant en CMP participent à des dispositifs mis en place par les conseils généraux, ils font partie de ces experts qui sont favorisés par les juges. Donc la question est de savoir si une famille expertisée par un psychiatre exerçant en CMP pourrait soulever l’existence d’un conflit d’intérêt ?
Docteur OG : Évidemment. Mais on ne le dira jamais. En fait il faudrait nommer des experts complètement indépendants de toute structure. Mais on ne le fait pas, on préfère solliciter des psychiatres du service public pour des raisons évidentes.
CEDIF : Les juges en audience précisent qu’ils peuvent s’appuyer sur n’importe quelle expertise et accepter celle qu’ils veulent. D’ailleurs, bien souvent, dans les faits lorsque des parents viennent avec une expertise qui ne va pas dans le même sens que celle de l’expert commis, le juge n’en tient pas compte. Est-ce que vous pensez que c’est une pratique normale ?
Docteur OG : Cela dépend ce que l’on appelle normal, si on part du principe qu’une pratique normale est une pratique commune et que l’on voit celles adoptées par les juges, alors oui cela relève de la normalité. Mais sur le plan de la conscience j’estime que c’est totalement anormal, parce que l’on empêche les parents et les enfants d’avoir droit à la parole, on les cadenasse déjà à l’expertise. Il conviendrait comme dit ci-dessus de faire appel à des thérapeute indépendants de toutes structures.
CEDIF : La normalité renvoie aussi au fait que le juge doit théoriquement être impartial, on peut sous-entendre effectivement qu’un juge qui choisit ses experts et qui est confronté à une autre expertise qui ne va pas dans le même sens, doit par devoir d’impartialité lire les deux expertises et se prononcer en conscience.
Docteur OG : Cela c’est la théorie.
CEDIF : Dans ce cas est ce que l’on pourrait aller jusqu’à dire qu’il y aurait collusion entre certains juges et certains experts ?
Docteur OG : On peut, comme vous le disiez, au moins parler de conflit d’intérêt si l’expert a intérêt à suivre la direction donnée par le juge. Mais cela s’établit difficilement. Cependant ce que je peux constater c’est que la plupart du temps les juges ne sont pas informés (pour ne pas dire qu’ils ne connaissent rien) à l’établissement du diagnostic, à la symptomatologie, aux traitements ni même à la prise en charge d’enfants en difficulté. Alors ils s’en remettent à leurs experts habituels.
CEDIF : Ce qui explique donc que des terme comme "fragilité narcissique" fassent illusion ?
Docteur OG : Oui mais cela c’est la tarte à la crème, ils peuvent aussi dire que la mère n’est pas en capacité d’élever ses enfants car elle n’a pas su couper le cordon, que le complexe d’oedipe est toujours présent ce qui empêche la mise en place d’une structure stable pour l’enfant avec une image paternelle, que bien entendu les deux parents ne sont pas en mesure d’assumer dans l’état actuel des choses. C’est sans importance, mais il faut prendre les enfants en charge et puis on va attendre qu’il y ait un mûrissement du papa et de la maman pour qu’un jour peut-être on envisage après des visites médiatisées, puis des visites libres une ou deux fois par mois, de rendre les enfants ? Je suis dans la dérision et dans l’imitation mais cela est parfaitement qui est décrit dans le livre Enfants en souffrance... la honte /Alexandra Riguet et Bernard Laine/ annotation :
" Nous n’assurons plus la sécurité des enfants dont nous nous occupons... Ils sont en danger dans nos foyers ! "
Ces propos glaçants sortent de la bouche d’éducateurs de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), censée protéger les enfants lorsque leur famille n’est pas en mesure de s’occuper d’eux. Ainsi, en France, des enfants sont maltraités alors que l’institution est supposée les protéger ! Ici un pédophile, déjà condamné, engagé comme veilleur de nuit d’un foyer hébergeant des enfants. Là un travailleur social qui perd le contrôle de sa Ferrari avec 1,58 g d’alcool dans le sang, tuant ses deux passagères de 15 et 16 ans, dont l’une placée chez lui par les services sociaux. Là encore le directeur d’une association en charge de quelques foyers qui touche plus de 9 000 euros de salaire net par mois auxquels s’ajoutent des milliers d’euros de frais personnels payés par l’Aide sociale à l’enfance…Notre pays dépense plus de 7,5 milliards d’euros pour la Protection de l’enfance. Où va vraiment l’argent public ? On parle de 200 000 professionnels pour s’occuper de ces enfants, mais ceux qui sont sur le terrain se plaignent du manque de personnel et de moyens. Comment expliquer et tolérer que sur les 150 000 d’entre eux qui vivent dans des foyers ou des familles d’accueil beaucoup finiront à la rue ?
CEDIF : Oui, tout à fait, la journaliste qui a écrit ce livre en collaboration avait contacté le CEDIF, nous avons regreté qu’elle ne développe pas aussi les cas de placements abusifs que nous lui avions évoqué. Le débat qui s’en est suivi sur France 5 a aussi défiguré le reportage en faisant l’apologie des placeurs. Pour autant la logique de l’ASE, du business du social tel que nous l’analysons depuis 2011, a été bien comprise. Au sujet de diagnostics pour le moins "étonnants", d’autres cas nous ont été soumis dans lesquels des parents venus en consultations fréquentes pour leur enfant se voient imputer un syndrome de Münchhausen par procuration. Ce syndrome est-il si courant que cela pour justifier de tant d’interventions auprès des services de l’ASE ?
Docteur OG : Oh non, le syndrome de Münchhausen en psychiatrie est rare.
CEDIF : Vous savez que la crise de l’adolescence n’est pas forcément facile à gérer. Il est arrivé que des adolescents prennent l’initiative d’aller voir les services sociaux en prétendant faussement être maltraités et en exposant ensuite les parents à la toute puissance des services sociaux. Est-ce que vous pensez qu’en conséquence les parents n’osent plus exercer leur autorité de peur d’avoir à faire face ensuite à des signalements ?
Docteur OG : L’autorité des parents est souvent bafouée par les adolescents, cela on le sait. Mais l’enfant se construit par l’éducation des parents à côté de l’instruction du corps enseignant et de l’exemple des pairs c’est-à-dire ce qui se passe dans les cours d’écoles. Pour autant, il est vrai que l’autorité parentale a été complètement désavouée quelque soit le milieu et les parents n’osent plus l’exercer, surtout quand elle peut être considérée comme une maltraitance avec l’intervention immédiate des services sociaux.
CEDIF : Et que pensez-vous de la proposition de loi d’Edwige Antier qui proposait de pénaliser la gifle ?
Docteur OG : Tout ce discours là était tenu il y a une quinzaine d’années dans les pays d’Amérique du Nord, depuis ils ont complètement revu ce système de raisonnement, comme pour ces femmes qui prétendaient sous hypnose avoir été victimes de harcèlement moral ou sexuel. Maintenant il faut six heures pour traverser l’Atlantique en avion et des années avant que des idées ne fassent le même trajet. Ce système de raisonnement était complètement aberrant. La gifle dans le cadre de l’autorité parentale peut être nécessaire, parfois je dis bien, sauf cas pathologique ce n’est pas quelque chose de catastrophique. Donc cette proposition de loi est aberrante.
CEDIF : Alors quel est l’intérêt des personnels de l’ASE de vouloir à tous prix placer un enfant, cela ne relève-t-il pas d’un fonctionnement particulier ?
Docteur OG : Puisque l’on parle de fragilité narcissique on va parler d’égos surdimensionnés tant qu’on y est. C’est-à-dire que les gens de l’ASE sont persuadés, comme les enseignants d’ailleurs, de détenir le savoir absolu, égo hypertrophié . Ils disent qu’un enfant est maltraité et ne reviennent pas sur leurs déclarations.
CEDIF : C’est un peu le cas d’un certain nombre de fonctionnaires, ce sont aussi des gens qui revendiquent souvent et qui considèrent qu’ils ne sont pas suffisamment bien payés ni bien considérés, on pourrait se dire qu’ils sont dans un fonctionnement pathologique ?
Docteur OG : Sûrement, j’ai un exemple de cette école où un enfant était harcelé. Finalement, j’ai eu l’occasion de rencontrer différents intervenants, et pour chacun d’entre eux, si on avait le droit de le dire, ils auraient mérité un traitement psychothérapeutique.
CEDIF : Par la réalisation de certificats concernant l’état psychiatrique de vos patients dont vous aviez pu vérifier que l’état mental ne correspondait pas à ce qu’en supposaient des travailleurs sociaux, avez-vous réussi à obtenir main levée de placements ?
Docteur OG : Oui, Je commence à découvrir les techniques à employer face aux procédures institutionnelles et j’ai l’impression que si les médecins se mouillaient un peu plus au travers notamment d’attestations, on arriverait à de biens meilleurs résultats. Malheureusement par peur de sanction avec le conseil de l’ordre, il existe une hésitation grandissante à faire des attestations, pourtant elles ont un poids, un poids réel.
CEDIF : Vous êtes un psychiatre qui avez pris l’engagement de défendre la famille, les parents, les enfants, beaucoup d’autres vous suivent dans la profession ou avez-vous l’impression d’être isolé ?
Docteur OG : J’ai l’impression d’être un peu isolé.
CEDIF : En tant que professionnel, avez-vous déjà subi des pressions de magistrats dans le cadre de votre pratique, notamment la délivrance de certificats ?
Docteur OG : Des pressions de magistrats non, mais des plaintes j’en ai accumulé une grosse quantité pour ma manière de considérer la situation des couples en difficulté. Je prends systématiquement la défense des plus faibles, j’établis des certificats et en fonction de cela je me mêle d’affaires pour lesquelles je me mets du monde à dos. Cela m’est arrivé par exemple pour une femme de 40 ans, mère de deux garçons de 10 et 12 ans, femme de ménage. Ses enfants se sont battus avec d’autres, ils arrivent le lendemain à l’école avec des marques et des griffures. L’assistante sociale de la mère et l’institutrice, sans consulter la mère, ont mis en place une mesure, je suis intervenu et cela n’a pas plu du tout.
CEDIF : Qu’attendez vous des associations de défense des enfants et des parents pour faire évoluer cette situation ?
Docteur OG : Ce n’est pas tellement moi qui attends quelque chose, ce sont surtout les parents. Toute association qui va du bon côté avec des avocats, des médecins intègres peut faire bouger les choses dans le bon sens. Les avocats peuvent intervenir pour beaucoup afin d’aider les familles, je connais des exemples dans lesquels certains ont pu faire un travail formidable, en s’appuyant notamment sur des éléments favorables du dossier et des attestations. La cohésion entre le discours psychiatrique que je connais et le discours juridique des avocats auxquels j’ai affaire a permis de mettre en œuvre des complémentarités pour sortir des gens de situation de harcèlement moral, désormais dans cette même optique il y a tout un travail d’information et de pédagogie à faire sur la psychologie de l’enfant et sur le harcèlement institutionnel. Mais qui va prendre le risque de le faire ? Moi je suis prêt à le faire mais je suis pas sûr qu’il y ait beaucoup d’auditeurs qui aient envie d’entendre ce que j’ai à dire.
CEDIF : Qu’est ce qui vous motive.
Docteur OG: Le chant des partisans. : Nous irons là-bas / Et nous détruirons / Les réseaux ennemis / Qu'ils le sachent, nos enfants /
CEDIF : Vous pourrez alors comptez sur nous pour participer à ce travail ne serait-ce que concernant la mise en évidence du harcèlement institutionnel contre les familles. Nous vous remercions de cet entretien très constructif.